Une épine dans le pied

Déc 19, 2008

Peut-on faire aujourd’hui de grands champagnes avec des méthodes d’hier ?
Le grand dégustateur Bernard Burtschy met les pieds dans le plat.

 “La Champagne vit sur un petit nuage.

Ses effervescents de luxe se vendent fort bien et très chers, trop bien même. Il faut rationner la demande et songer à étendre l’aire d’appellation, tant la pénurie guette, Certes, suite à la conjoncture économique, il y a bien un petit ralentissement, mais rien de grave. Qu’il s’agisse de fêter un succès ou de noyer son chagrin, le champagne est de la partie. La Champagne représente 350 millions de bouteilles par an dans un marche de quatre milliards s d ‘effervescents qui est en pleine croissance.


Ce succès qui dure depuis longtemps n’est pas dû au hasard car il existe une véritable gestion collective de l’appellation. Les producteurs qui détiennent 90% de la surface de l’appellation sont contraints de s’entendre avec les grandes marques qui vendent 75% des champagnes. On imagine bien que les uns aient intérêt à vendre leurs kilos de raisins le plus cher possible et les autres de les acheter le moins cher possible, le tout sous I’œil des coopératives qui jouent le rôle d’arbitre. Malgré quelques secousses de temps en temps, le système fonctionne bien et tes uns comme les autres tirent leur épingle du jeu. La champagne est le vignoble le plus rentable du monde et tout le monde y gagne.


La météorologie se met aussi de la partie. Alors que la France entière est à la peine en 2008, la Champagne signe d’une manière insolente un beau millésime. Les millésimes précédents ne sont pas en reste et les stocks, indispensables à la belle qualitê, vont bien. La Champagne a quelques belles récoltes en réserve pour nous régaler.


Tout va bien pour la Champagne. Enfin, presque tout. Les progrès fulgurants de l’analyse des vins permettent de déceler, de plus en plus souvent, les moindres traitements qu’ont subi les vignes (pesticides, métaux lourds, etc.). Si les vins bio se sortent avec les honneurs de ces analyses, de plus en plus de vins issus d’une gestion classique des vignobles, sont épinglés Les vins français d’ailleurs un peu plus souvent que les autres, car la France s’est lancée à corps perdu dans l’agriculture chimique. Les Chambres d’agriculture, mais aussi l’Université française, portent une lourde responsabilité en ce domaine.


La Champagne, en particulier, n’est pas un modèle dans la culture de ses vignes. Elle utilise toutes les ressources, et elles sont nombreuses, de la chimie. Si la région est la plus septentrionale de France donc la plus sensible aux intempéries, elle traite trois ou quatre fois plus que l’Allemagne qui n’est pas mieux lotie par la climatologie. Certes, il existe bien quelques producteurs qui sont en bio, voire en biodynamie certifiée comme Franck Pascal, Raymond Boulard ou Françoise Bedel, mais ils ne sont pas légion.


Si la Champagne a réussi, très difficilement au milieu des années 90, à se sortir de l’épandage des boues urbaines sur ses meilleurs terroirs, la prise de conscience est loin d’être faite sur une viticulture respectueuse de son environnement. Pourtant, ce n’est pas un problème de moyens.


La Champagne a axé toute sa communication sur la pureté de ses vins et sur le rêve, au point qu’il n’est pas décent de faire une fête digne de ce nom, n’importe où dans le monde, sans une bouteille de champagne. Ses meilleures cuvées trônent, sans partage, au nirvana des meilleurs effervescents du monde, il lui serait très préjudiciable que le
monde découvre que la culture de ses raisins est du pire niveau que l’on puisse imaginer. il est temps de nettoyer l’arrière-cour et de mettre sa viticulture au niveau des meilleurs standards de la bio. Comme dans la Bourgogne voisine ou le Bordelais.


Bernard Burtschy”

 

Source: Article paru le 14 Décembre 2008 dans le supplément du Journal du Dimanche.

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